Le recouvrement de créances est une problématique centrale pour de nombreuses entreprises, professions libérales ou travailleurs indépendants. Lorsqu’un client ne paie pas une facture à l’échéance convenue, le créancier peut entamer des démarches pour obtenir le paiement. Toutefois, ces actions ne peuvent être intentées indéfiniment : elles sont soumises à un délai de prescription, au terme duquel la créance devient juridiquement inexigible. Connaître ce délai est fondamental pour préserver ses droits, éviter une forclusion, et organiser efficacement sa stratégie de recouvrement.
Ce guide complet vous permet de comprendre la durée, le point de départ, les causes d’interruption ou de suspension, ainsi que les cas particuliers liés à la prescription des factures impayées.
Définition de la prescription
La prescription extinctive est définie par l’article 2219 du Code civil comme :
« un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ».
Concrètement, cela signifie qu’un créancier ne peut plus agir en justice pour réclamer le paiement d’une facture si un certain délai s’est écoulé sans qu’il ait engagé de procédure. La dette subsiste moralement, mais n’a plus de force exécutoire : elle devient juridiquement « prescrite ».
Durée du délai de prescription selon la nature de la créance
Le délai de prescription dépend de la qualité des parties (commerçant, consommateur, professionnel libéral, etc.) et de la nature de la prestation facturée.
A. Entre professionnels (factures commerciales)
Durée : 5 ans
Selon l’article L110-4 du Code de commerce, les actions entre commerçants ou entre commerçants et sociétés se prescrivent par cinq ans.
Exemple : une facture émise le 1er janvier 2020 entre deux entreprises est prescriptible au 1er janvier 2025.
Ce délai concerne toutes les créances issues de contrats commerciaux : ventes de marchandises, prestations de service, sous-traitance, etc.
B. Entre professionnel et consommateur (client particulier)
Durée : 2 ans
L’article L218-2 du Code de la consommation prévoit un délai de prescription de deux ans pour les actions des professionnels contre les consommateurs.
Exemple : un plombier facture un particulier le 15 mars 2022. Il a jusqu’au 15 mars 2024 pour engager une procédure.
Cette prescription protège le consommateur contre d’éventuelles poursuites tardives.
C. Honoraires des professions libérales
Les professions libérales réglementées (avocats, médecins, architectes, etc.) sont également soumises à un délai de 5 ans pour réclamer leurs honoraires, en application de l’article 2224 du Code civil (prescription de droit commun).
Ce délai s’applique notamment aux factures de consultation, de mission ou de prestations intellectuelles.
Point de départ de la prescription
Le point de départ du délai de prescription n’est pas toujours la date d’émission de la facture. Il s’agit en principe de la date à laquelle la créance est exigible, c’est-à-dire la date d’échéance du paiement.
Exemple :
-
Facture émise le 1er avril 2021 avec un délai de paiement de 30 jours.
-
La créance est exigible le 1er mai 2021.
-
Le délai de prescription commence à courir à cette date.
Il convient donc de vérifier les conditions générales de vente (CGV) ou les contrats pour connaître précisément le point de départ.
Suspension et interruption de la prescription
La prescription n’est pas toujours linéaire. Elle peut être :
A. Suspendue
Certaines situations empêchent le cours de la prescription sans l’annuler. Le délai reprend là où il s’était arrêté une fois la cause disparue.
Exemples de suspension :
-
Cas de force majeure
-
Négociation entre les parties
-
Mise en redressement ou liquidation judiciaire du débiteur
-
Mise en demeure amiable (dans certains cas)
B. Interrompue
L’interruption efface le délai déjà écoulé et fait repartir un nouveau délai complet. L’article 2240 à 2244 du Code civil en donne les principales causes :
-
Reconnaissance de dette par le débiteur (même implicite, par écrit ou paiement partiel)
-
Demande en justice, même devant une juridiction incompétente
-
Commandement de payer ou saisie
Exemple :
Une facture du 1er mars 2020 devient exigible le 31 mars 2020. Une mise en demeure est envoyée le 1er février 2022. Le débiteur répond en reconnaissant sa dette. Le délai repart alors de zéro à partir du 1er février 2022, repoussant la prescription à 2027.
Prescription et relance amiable
Les relances amiables (courriers, emails, appels téléphoniques) n’interrompent pas à elles seules la prescription. Toutefois, si le débiteur répond ou s’il effectue un paiement partiel, cela peut être interprété comme une reconnaissance de dette, ce qui interrompt le délai.
Il est donc recommandé de conserver toute correspondance, notamment les accusés de réception, courriels, et preuves de paiements partiels.
Conséquences de la prescription
Lorsque la prescription est acquise, le créancier perd la possibilité d’agir en justice. Si une action est introduite au-delà du délai :
-
Le tribunal la rejettera, à condition que le débiteur soulève expressément l’exception de prescription.
-
La créance n’est pas effacée : elle existe toujours, mais devient inexécutable juridiquement.
-
Le créancier peut toujours obtenir un paiement volontaire, mais ne peut plus le contraindre.
La prescription ne s’applique pas d’office : seul le débiteur peut en bénéficier s’il l’invoque.
Procédure de recouvrement avant prescription
Avant l’expiration du délai, le créancier peut choisir :
A. La relance amiable
-
Lettres de relance simples ou recommandées
-
Mise en demeure avec mention des sanctions (intérêts de retard, indemnité forfaitaire)
-
Proposition d’un échéancier
B. La procédure d’injonction de payer
Procédure simplifiée et peu coûteuse, elle permet d’obtenir une ordonnance du juge sans audience. Si elle est délivrée avant l’expiration du délai, elle interrompt la prescription.
C. L’action judiciaire classique
Si la créance est contestée ou complexe, l’entreprise peut saisir le tribunal au fond, avec assignation du débiteur. Une telle procédure suspend ou interrompt également la prescription.
Cas particuliers
A. Facture d’énergie, de téléphonie ou d’eau (particuliers)
Le délai de prescription est de 1 an (article L. 224-11 du Code de la consommation). Cela concerne :
-
Fournitures d’eau
-
Gaz et électricité
-
Téléphonie et Internet
B. Contrat d’assurance
Le délai de prescription est de 2 ans, sauf en cas de fraude.
C. Créances fiscales et sociales
-
Créances fiscales : prescription en 4 ans en général
-
Cotisations sociales : 3 ans (URSSAF), 5 ans en cas de fraude
Bonnes pratiques pour éviter la prescription
Pour sécuriser le recouvrement de ses factures, toute entreprise doit adopter une gestion rigoureuse :
-
Mettre en place des relances automatiques via un logiciel de facturation
-
Noter les dates d’échéance et programmer des rappels internes
-
Engager une procédure dès les premiers retards répétés
-
Recourir à l’assurance-crédit pour se prémunir contre les impayés
-
Conserver les preuves contractuelles, bons de commande et livraisons signés
En cas de doute sur l’interruption ou le calcul du délai, il est judicieux de consulter un avocat ou expert-comptable.
Conclusion
Le délai de prescription d’une facture impayée est un élément juridique déterminant dans la stratégie de recouvrement des créances. Qu’il soit de 2 ans entre professionnels et consommateurs, ou de 5 ans entre entreprises, ce délai impose une réactivité rigoureuse pour éviter la perte de droits. Toute entreprise ou professionnel doit organiser un suivi des échéances, conserver des preuves solides et connaître les règles d’interruption et de suspension de prescription. Une approche proactive, conjuguée à une gestion documentée, permet de sécuriser son poste client et de préserver sa trésorerie face aux risques d’impayés.
