Contexte et objectifs de la réforme
Jusqu’au 30 juin 2025, un propriétaire confronté à un loyer impayé devait :
-
Obtenir un titre exécutoire (jugement ou injonction de payer) ;
-
Saisir le juge de l’exécution pour obtenir une autorisation de saisie des rémunérations du locataire ;
-
Attendre une audience de conciliation ou une décision judiciaire ;
-
Mettre en œuvre les mesures de saisie des salaires via le tribunal, ce qui pouvait prendre plusieurs mois
Cette procédure était jugée lourde, lente et coûteuse, posant un sérieux frein à la trésorerie des bailleurs et contribuant à l’engorgement des juridictions.
La réforme vise à déjudiciariser la saisie des salaires en cas de loyers impayés, en transférant la responsabilité des démarches à un commissaire de justice, autorisé à agir sans autorisation judiciaire, dès lors qu’un titre exécutoire est en possession du créancier
Fondation légale de la réforme
La réforme est issue de la loi n° 2023‑1059 du 20 novembre 2023, orientée vers la modernisation de la Justice pour la période 2023–2027, et a été précisée par le décret n° 2025‑125 du 12 février 2025. Les articles 47 et 60 de cette loi habilitent les commissaires de justice à délivrer un commandement de payer, sans passer par le juge, dès qu’un titre exécutoire est disponible
Cette réforme modifie les articles L. 3252‑1 à L. 3252‑7 du Code du travail et les articles R. 3252‑1 à R. 3252‑49 relatifs à la saisie de rémunérations
Principe de la nouvelle procédure
Étape 1 – Titre exécutoire
Le bailleur doit disposer d’un titre exécutoire : cela peut être un jugement définitif ou une injonction de payer non contestée
Étape 2 – Commandement de payer
Le bailleur mandate un commissaire de justice, qui délivre un commandement de payer au locataire. Ce dernier dispose d’un délai d’un mois pour payer ou contester avant qu’une saisie soit possible
Étape 3 – Procès-verbal de saisie
En l’absence de réponse ou de paiement, le commissaire rédige un procès-verbal de saisie, qui est transmis à l’employeur du locataire.
Étape 4 – Saisie sur rémunération
L’employeur est tenu d’opérer le prélèvement mensuel selon un barème légal défini par l’article L. 3252‑2 du Code du travail, tout en garantissant au débiteur un reste à vivre minimum équivalent au RSA
Étape 5 – Registre national
L’ensemble de la procédure est enregistré dans un registre national des saisies des rémunérations, assurant traçabilité, transparence et prévention des doubles saisies
Calendrier d’application
-
La réforme est applicable depuis le 1ᵉʳ juillet 2025 pour les nouveaux cas de loyers impayés.
-
Pour les procédures en cours au 30 juin 2025, le créancier dispose de trois mois pour confirmer son intention de poursuivre ; sinon, la saisie en cours devient caduque. Les paiements après cette date ne seront pas repris et les sommes déjà perçues seront redistribuées avant le 1ᵉʳ octobre 2025
Avantages de la réforme
✅ Rapidité
La saisie peut être mise en œuvre en moins de deux mois après réception du titre exécutoire, contre plusieurs mois auparavant
✅ Simplicité procédurale
La suppression de l’étape judiciaire de conciliation ou d’autorisation réduit considérablement les formalités et les coûts.
✅ Sécurité juridique
Le registre national évite les saisies multiples ou conflictuelles et garantit une traçabilité complète des interventions
✅ Moindre coût pour le bailleur
Le recours au commissaire de justice, sans audience ni avocat, réduit les frais globaux du recouvrement.
Garanties pour le locataire
⚖️ Droit à la contestation
Le locataire peut contester la dette ou proposer un échéancier durant le délai d’un mois du commandement. En cas de contestation, la procédure peut être suspendue et portée devant le juge
⚖️ Protection du reste à vivre
Le barème légal de saisie prend en compte les personnes à charge et garantit que la rémunération restante ne descende pas en dessous du seuil du RSA (ex. 646,52 € pour une personne seule)
⚖️ Confidentialité et non-discrimination
L’employeur ne peut ni sanctionner ni divulguer le fait qu’une saisie est en cours. Toute violation de cette règle engage sa responsabilité civile (voire pénale)
Limites et critiques
⚠️ Risque d’abus ou de précipitation
Certaines associations comme la Confédération nationale du logement (CNL) dénoncent une réforme au « mépris des droits des locataires en difficulté » et regrette l’absence d’audience contradictoire préalable
⚠️ Dépendance au titre exécutoire
La réforme ne supprime pas l’étape de validation d’un titre exécutoire. Si celui-ci est contesté ou invalide, la saisie ne peut pas être déclenchée.
⚠️ Mesure tardive dans le parcours locatif
La réforme intervient à un stade déjà conflictuel du non-paiement. La prévention (garanties locatives, sélection rigoureuse, assurance loyers impayés, Visale) reste primordiale pour éviter d’en arriver là
Recommandations pratiques pour les bailleurs
-
Mettre à jour les contrats : inclure une clause résolutoire et prévoir le recours à l’injonction de payer.
-
Préparer un dossier solide : factures, bail, état des lieux, correspondances.
-
Identifier un commissaire de justice compétent pour traiter ce type de procédure.
-
Informer clairement les locataires des nouvelles modalités, notamment du délai de paiement et de contestation.
-
Suivre les procédures en cours antérieures au 1ᵉʳ juillet 2025 et confirmer leur continuation dans les trois mois impartis
-
Favoriser les outils de prévention comme les IGF, Visale ou assurance loyers impayés.
Conclusion
La réforme du 1ᵉʳ juillet 2025 marque une évolution majeure du cadre juridique français en matière de loyers impayés :
-
Elle accélère notablement le recouvrement, grâce à la déjudiciarisation de la saisie des rémunérations.
-
Elle élargit les prérogatives des commissaires de justice, désormais au cœur du processus.
-
Elle garantit des droits préservés aux locataires, notamment le droit de contestation et la protection sociale minimale.
-
Elle répond à un enjeu pressant pour les bailleurs : améliorer la trésorerie et sécuriser les revenus locatifs tout en limitant le recours aux tribunaux.
Néanmoins, cette réforme ne dispense pas d’un bon accompagnement locatif dès l’entrée dans le bien. Prévenir reste bien plus efficace que recourir aux procédures, surtout en cas de difficultés financières du locataire.
En synthèse, le nouveau dispositif représente une avancée pragmatique dans la gestion des loyers impayés, en alliant rapidité, simplicité et cadre légal structuré — à condition que les acteurs locatifs s’en saisissent de manière rigoureuse et proactive.
Exemple réel simulé : mise en œuvre d’une saisie sur salaire pour loyers impayés
✅ Contexte
-
Propriétaire bailleur : Mme Dupuis, retraitée, propriétaire d’un appartement à Lyon.
-
Locataire : M. Laurent M., salarié en CDI dans une entreprise de transport.
-
Montant du loyer mensuel : 980 € charges comprises.
-
Impayés : loyers non réglés de mars, avril et mai 2025, soit un total de 2 940 €.
📌 Étapes de la procédure appliquée
1. Titre exécutoire obtenu
Le 15 juin 2025, Mme Dupuis a obtenu une ordonnance d’injonction de payer auprès du tribunal judiciaire de Lyon. M. Laurent n’a pas formé d’opposition dans le délai légal d’un mois. L’ordonnance devient donc exécutoire le 17 juillet 2025.
2. Mandat donné à un commissaire de justice
Le 22 juillet 2025, Mme Dupuis mandate Maître C., commissaire de justice à Villeurbanne, pour procéder au recouvrement de la créance sur la base de l’ordonnance.
3. Commandement de payer
Le 25 juillet 2025, Maître C. signifie à M. Laurent un commandement de payer valant saisie, mentionnant le montant total dû (2 940 €) et l’avertissant qu’à défaut de règlement sous 30 jours, une saisie sur salaire serait déclenchée auprès de son employeur.
4. Absence de paiement
Au 26 août 2025, aucune réponse n’a été donnée par M. Laurent. Le délai d’un mois a expiré.
5. Procès-verbal de saisie
Le 28 août 2025, Maître C. dresse un procès-verbal de saisie des rémunérations et l’adresse à l’employeur de M. Laurent, la société « Trans’Lyon Mobilité ». Il transmet également une copie au débiteur.
6. Application du barème légal
Le salaire net mensuel de M. Laurent est de 2 000 €. Conformément au barème de saisie des rémunérations 2025, l’employeur est autorisé à retenir jusqu’à 377,31 € par mois, en garantissant un reste à vivre égal ou supérieur au RSA (646,52 €).
7. Début du remboursement
À compter de septembre 2025, la société Trans’Lyon Mobilité verse 377,31 € par mois directement au commissaire de justice, jusqu’à extinction de la créance. Le remboursement intégral est prévu en huit mensualités.
🔍 Points-clés du dossier
| Éléments | Détail |
|---|---|
| Procédure judiciaire ? | Non, après titre exécutoire, tout se fait par commissaire |
| Intervention du juge ? | Aucune, sauf contestation éventuelle du débiteur |
| Délais totaux | 2 mois entre injonction définitive et 1ʳᵉ saisie effective |
| Coût pour le bailleur | Environ 180 € d’honoraires de commissaire (non récupérables ici) |
| Droit du locataire respecté ? | Oui, 30 jours de délai + saisie partielle et reste à vivre protégé |
✅ Conclusion
Cet exemple illustre parfaitement la simplicité, la rapidité et l’efficacité du nouveau mécanisme : le propriétaire a obtenu l’exécution du paiement sans audience, sans avocat, et avec des délais réduits à moins de deux mois. Le locataire, bien qu’inactif, a bénéficié de toutes les garanties légales (délai, notification, plafond de saisie, protection sociale).
